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WIKISDORVIA

CARNET DE VOYAGE

Sur la route d’Izkawa
Une plongée sinueuse dans la folie sdorvienne.

Par Ravin Ashig


PRÉFACE
N’essayez pas de chercher la Sdorvie sur une carte, sur une mappemonde, dans un livr
e d’histoire ou sur Wikipédia, vous ne trouverez rien…
Ce pays une création linguistique, il
n’existe pas. Pourtant, la Sdorvie est l’évocation bien réelle d’un pays existant, une partie
du monde dominée par un régime dictatorial et autoritaire.
Les noms des personnes et
des lieux apparaissant dans ce carnet ont été transformés pour prévenir les protagonistes de toutes représailles. Mais tous les évènements relatés dans ce carnet sont avérés, ils ont eu lieu entre le 21 juin et le 13 septembre 2017.

A l’Est de l’Est existe un petit pays oublié des Nations Unis, de l’Organisation Mondiale du Commerce, de la communauté internationale, des marchés financiers, de la presse et de l’Histoire. Dans ce petit pays se trame une tragédie humaine et sociétale depuis bientôt 40 ans. L’oppression, le muselage de l’information et la répression de toute opposition empêchent les sdorviens de parler et seule une poignée de témoins peuvent raconter ce drame, depuis l’étranger. Ce carnet se veut donc un témoignage parcellaire de la vie d’un pays banni, décharné et bâillonné qui ne survit que par l’espoir d’un après ou d’un ailleurs...


LE VOYAGE

Je m’appelle Ravin Ashig, j’ai 22 ans et je suis Français. Je m’apprête à quitter mon pays pour le voyage le plus important de ma vie.
Ma grand-mère a quitté le sien en Février 1974, dix ans avant le poutch. Elle serait arrivée en France deux mois-et-demi plus tard, mais n’apparaît dans les registres d’Etat que le 09 mars 1975, lors de la déclaration de naissance de ma mère. Je n’ai pas eu la chance de la connaître car elle est décédée trois ans plus tard, et d’elle, je n’ai qu’une photo, deux anecdotes de la petite enfance de ma mère et un pays d’origine.
Tout ce que
je sais d’elle, c’est que cette femme était forte, indépendante, qu’elle s’appelait Rania Ashig et qu’elle venait de la région d’Izkawa, en Sdorvie.
Un sac à dos
Un passeport
Quelques vêtements
Une brosse à dent
Un téléphone portable
Des écouteurs
Une trousse de feutres, crayons et aquarelles
Un billet de bus
Un bout de papier avec une adresse : 15, Skoun Iltrevan, Kepta, Sdorvia

Mon voyage commence là ou s’arrête le taxi…Un fixbus pour la frontière, avec un groupe de trois albanais, deux russes et un sdorvien.
Je sens une tension palpable dans le minibus, je ne comprends pas ce que mes voisins se disent, mais ils parlent bas, lentement, il y a quelque chose de solennel dans leur voix.
Première échauffourée, le garde frontière a l’air tendu. Il me parle dans sa langue et je ne comprends rien, je pense qu’ils n’ont pas l’habitude de recevoir des étrangers, encore moins des français, j’attends presque une heure. Puis c’est un supérieur qui débarque dans le cabanon du poste frontière et m’invective dans un très mauvais Anglais : « Why you here ? »
Je lui réponds que je dois rejoindre mon grand-oncle à Kepta, pour des vacances, il n’a pas l’air de comprendre le mot « hollydays », je leur donne l’adresse exacte de mon oncle à Kepta, la capitale.
C’est un 4x4 noir qui vient me chercher pour me conduire chez le
grand-oncle et comprendre les raisons de ma visite, trois heures de silence, je ne préfère pas sortir le carnet et prends des clichés mémoriels pour les retranscrire plus tard.
La ville apparaît, dans sa misère et sa grisaille, les routes cabossées, les chariots traînés par des ânes, des files d’attente devant des échoppes, des filles qui font les cent pas dans la rue. Là, on s’arrête devant la porte d’un vieil immeuble, un homme nous ouvre, il boîte et a le visage dur.
Mon grand-oncle s’appelle Dasùm Ashig, il nous reçoit, moi et les deux hommes qui m’ont escorté. Après une demi-heure de ce qui pourrait s’apparenter à de la négociation, les deux hommes partent.
Mon oncle s’adresse à moi dans le même mauvais anglais que le garde frontière : « Youno go out, ok ? » Puis on s’assoit à table, il sort une bouteille d’alcool fort, le Képor, et nous trinquons.
C’est imbuvable. Je lui montre des photos de sa sœur à Paris et à Limoges, il me prend dans ses bras.Il me ramène la seule lettre qu’il a reçu de ma grand-mère, elle date de 82, et dessus, on peut voir un dessin d’enfant, un oiseau. Je comprends qu’il est de ma mère.

Ce matin, j’ai rencontré mon cousin Ishar.
Ishar est grand, costaud, il a l’air d’aimer le kepor et parle mieux anglais que Dasùm.
Ils se sont engeulés quand il est arrivé à la maison, je crois que Dasùm a peur pour lui quand il passe ses nuits dehors. Ishar ne comprend pas trop ce que je suis venu chercher en Sdorvie, si c’est le goût du risque, je vais être servi.
Je passe la journée à l’intérieur de l’appartement, regarde quelques silhouettes passer sous la fenêtre et pour tout dire, je m’ennuie profondément.
Mon grand-oncle a un chat.
Le soir, on mange une soupe de pomme de terre tous les trois, mon oncle regarde la télévision, il n’y a qu’une seule chaîne, Sdorvia On, et je remarque le visage du général président Kavshen, lors de commémorations.

LA FOLIE
En secret, Ishar m’emmène pour la soirée, on rejoint des copains à lui qui se bourrent la gueule dans un parc laissé à l’abandon qui a plus l’air d’un no man’s land. Ils me tendent une bouteille, rient de me voir m’étouffer, se mettent des cagoules sur la tête et m’embarquent dans la nuit.
On arrive devant une ruine, un immeuble qui a connu la guerre… On passe par un couloir en entendant un boom-boom grandissant, on descend des escaliers, et là, la surprise. Une cave bondée de jeunes encagoulés qui boivent et danse sur de la musique Electro agressive, ils appellent cela le Turbo-Trash. Il y a des filles et des garçons, certains sont torse-nus, mais tous, ils cachent leur visage.
Je n’ai jamais vu une telle ambiance en France, même lors des soirées étudiantes les plus folles auxquelles j’ai participé…Il y a des matelas pour ceux qui comatent. Un type avec une cagoule fluo me tend un prospectus avec le portrait de kavshen au milieu d’une cible…
Après quelques heures je finis par m’allonger.

Il n’est pas loin de midi quand on arrive chez mon oncle. Celui-ci nous attend à la porte et sans préavis, il met une beigne à Ishar et se retient de m’en mettre une, à moi aussi, je comprends qu’on ne rigole pas en Sdorvie… Le danger est palpable.

Les copains d’Ishars :
Rulnié : La brûte épaisse. C’est le boss de la bande, un gros nounours avec quelques cicatrices dont une belle sur lefront.
Paval : le beau gosse. Désinvolte et malicieux, il a un groupe de turbo-trash qui marche assez bien. Regard perçant et sourire en coin.
Nassim : l’étranger. Il est orphelin et vient du Kosovo, c’est celui qui parle le mieux anglais.
Crane rasé et
tatouage dans le cou.
Kalni : la fille. Elle est plus dur et violente que ses collègues. Embonpoint et cicatrice au menton.

Les copains d’Ishar n’ont pas fait l’école, comme les deux-tiers des jeunes sdorviens.

Deuxième fête :
J’ai pris un cachet rose, puis un deuxième cachet blanc avant que l’effet du premier soit monté, j’ai bu du Képor, me suis mis à danser comme un diable, torse-nu dans ce sauna. Je crois que j’ai fait l’amour à une fille sur un matelas, ou peut-être juste des caresses…Deux mecs se sont battus, vraiment très fort.

Visite de ma grande tante Anisa Ashid à Kepta avec mon oncle. Elle tombe en larmes en me voyant et nous offre un thé froid. Elle me dit que ma grand-mère était une artiste, qu’elle passait sa vie à chanter et à danser, même à la laverie où elles travaillaient toutes les deux.
Sur une vielle carte, elle nous montre la région dont
est originaire ma grand-mère, Izkawa, mais il ne faut pas y aller, trop dangereux.
Elle me laisse quand-même prendre la carte en photo. Au retour, devant une statue de Kavshen, mon oncle retire sa casquette et fait un signe, il me demande de faire le même, c’est comme ça ici.

Je ne vais pas rester à Kepta. Cette ville est un cliché de l’idée que je me faisais des pays communistes, les gens ont cet air paniqué. Il n’y a pas de transports en commun en Sdorvie, Ishar m’explique : « là où tu nais, là où tu meurs. »
Les seuls à pouvoir se déplacer sur ce qu’il reste de route sont les officiels,
les camions de travailleurs et les distributeurs de denrée.
Ishar m’explique que jamais il n’est allé plus loin que les terrains-vagues qui bordent la ville. Il sait qu’il a de la famille à Desko, mais ne ressent même pas l’envie de les rencontrer « d’autres fous qui survivent ».

La région d’Izkawa est au bord de la Taïga, à plus de 400 kilomètres. Nassim, son copain kosovar, travaille à l’abattoir de Sultro, à l’Est de la ville. Il y a régulièrement des camions qui arrivent et qui partent de là-bas. Avec quelques gros billets, je pourrais peut-être monter dans un des camions pour Ilniou, la dernière ville avant la Taïga.

Je pars cette nuit, un arrivage de chèvres à Sultro et le camion repart à 2h et demi du matin. 25000 roudis pour les gardiens, 30000 roudis pour le chef de section, 25000 roudis pour le camionneur, 60000 pour les checks-points, et 20000 roudis pour Nassim, le tout représentant à peu près 60 euros.
Surprise. Au dernier moment, Nassim monte avec moi à l’arrière du camion. Il me dit que ça serait suicidaire de me part de quitter Kepta sans un guide.

Hormis quelques
brins de paille, le camion est vide, nous sommes assis côte à côte sur une petite bâche enplastique. A l’intérieur, ça pue la merde de chèvre et la peur. A travers les planches de bois plaquées, on peut voir les rares lumières qui accompagnent les carrefours.
Le camion s’arête une première fois, une lampe torche passe, mais son faisceau ne nous surprend pas.
Le camion repart.
Je ferme les yeux.

Quand le camion s’arrête de nouveau, il fait jour.
On n’entend le camionneur s’engueuler
avec quelqu’un.
Le camion repart.


La ferme d’Ilniou.
Les derniers billets.
La route à pied de nuit, une couverture, les paysages lunaires, 4 nuits.

Nassim m’explique qu’il voudrait rejoindre l’Europe. Il me parle de liberté, d’émancipation, de vérité, de folie humaine…

L’arrivée à Izkawa.
Le vide.

Le village de Kanioul.

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